Colloque international sur l’exil républicain espagnol en Bretagne
À l’occasion du 80e anniversaire des premiers réfugiés espagnols (1937-2017), notre Cité du Ponant a été pendant trois jours, du 3 avril au 5 avril 2017, le lieu d’échanges et de rencontres très riches, s’y est tenu un colloque international qui a voulu mettre en lumière une période fondamentale de l’histoire européenne du vingtième siècle et apporter un éclairage à la fois historique, sociologique, littéraire et artistique sur la Guerre d’Espagne et l’accueil des réfugiés espagnols en Bretagne, 80 ans après les premières arrivées massives.
Ce colloque a regroupé pendant trois jours des activités aussi bien scientifiques (conférences et communications), culturelles (expositions et spectacle théâtral) et sociales (témoignages, débats, films), autour de la Guerre d’Espagne, de l’exil espagnol en particulier, de l’exil aujourd’hui…
Comment la mémoire des réfugiés espagnols s’est-elle diffusée dans les familles, dans la Société en général, à travers leurs témoignages et ceux de leurs descendants, les travaux des historiens, les œuvres artistiques ?
Quelle a été la place des femmes dans la Guerre d’Espagne et l’exil espagnol ?
Aujourd’hui, l’accueil des réfugiés en Europe, en France et en Bretagne ?…
LUNDI 3 AVRIL
Le lundi 3 avril, c’est Jean-Yves Le Disez (directeur UFR Lettres et Sciences Humaines de Brest) qui prononce les premiers mots de bienvenue. Il souligne la diversité des disciplines (4 disciplines et 10 laboratoires) et des intervenants (artistes, témoins, chercheurs).
Iván López Cabello (directeur du Laboratoire HCTI de Brest), à l’initiative du colloque ainsi que Guillaume Fernández (maître de conférences du Laboratoire LABERS de Brest) insiste sur ce qui a été important pour le Comité d’organisation : l’ouverture du colloque, ouverture à l’international, aux associations, aux artistes, au public, aux étudiants, au passé et au présent.
LES INTERVENTIONS
- Christian Bougeard, Isabelle Le Boulanger
Isabelle Le Boulanger, Christian Bougeard
Présentée par Christian Bougeard (historien UBO), la conférence inaugurale est prononcée par Isabelle Le Boulanger (docteure en histoire contemporaine et chercheure au CRBC de Brest) auteure de « L’exil espagnol en Bretagne, 1937-1940 ». Son étude porte sur 104 liasses conservées dans les archives des cinq départements bretons et retrace les conditions de vie des réfugiés en Bretagne, depuis leur arrivée dans cette région inconnue jusqu’à leur départ. Elle s’intéresse d’une part aux actions menées par l’État, confronté à la gestion immédiate d’une immigration de masse et d’autre part aux actions entreprises par les organisations syndicales, politiques et caritatives ainsi qu’aux initiatives privées, encadrées et contrôlées par les autorités préfectorales. Malgré une certaine humanité, elle constate une politique essentiellement centrée sur des impératifs sanitaires et sécuritaires animés par la peur des « rojos ». Ainsi la Bretagne entre 1937 et 1939 a-t-elle été une terre d’exil plutôt qu’une terre d’accueil et qu’elle n’a pas été toujours à la hauteur des espoirs des réfugiés espagnols.
- Gabrielle García, Roger Faligot
Gabrielle García, María José Fernández Vicente, Roger Faligot
La matinée se poursuit avec Gabrielle García (fille d’un combattant républicain exilé en 1939, co-auteure de « La mémoire retrouvée des républicains espagnols », 2005 et première présidente de MERE-29). Elle témoigne de l’histoire d’ex-soldats de la République espagnole, exilés en Bretagne : parcours d’exil des camps du Sud de la France aux Compagnies de Travail, arrivés en Bretagne puis remis à l’occupant nazi pour devenir travailleurs forcés à la construction de la base de sous-marins de Brest et des autres fortifications du Mur de l’Atlantique. Témoins des faits de résistance de leurs compatriotes, de leur déportation et pour certains de leur exécution, ils ont en commun d’être des hommes engagés, acteurs de la République espagnole exilés.
Roger Faligot (reporter et écrivain du pays brestois, historien d’investigation, auteur de « Brest l’insoumise », Dialogues 2016) développe ensuite « les portraits croisés des marins brestois Emile Causeur et Raymond Moullec : leur rôle en soutien à la République espagnole ». Deux hommes étonnants, deux parcours faits d’exploits au service de France-Navigation (compagnie maritime créée le 15 avril 1937) qui transporte sur ses navires (tel le célèbre « Winnipeg ») des denrées et des armes pour soutenir la République ainsi que des femmes et des enfants fuyant la guerre, notamment les enfants Basques, qui vont être acheminés vers la France ainsi que dans d’autres pays européens et la Russie. Une communication qui nous montre comment la Guerre d’Espagne a influé sur la trajectoire de ces hommes engagés ensuite, dans la continuité, dans la Résistance Française puis dans l’action politique et syndicale.
- Quand la Guerre d’Espagne s’invite à Brest: l’affaire du sous-marin C-2
Romuald Jacopin, Kris, Maëlle Parras, Hugues Vigouroux, Bertrand Galic, Patrick Gourlay (de gauche à droite)
Plusieurs intervenants de différentes disciplines vont apporter leur éclairage sur « l’affaire du C-2 », c’est-à-dire l’attaque du sous-marin républicain C-2 dans le port de Brest, en septembre 1937.
Le paysage politique de l’extrême-droite européenne de l’époque nous est dépeint par Romuald Jacopin (doctorant au CRBC de Brest). L’attaque du C-2 est ainsi « l’arbre qui cache la forêt » et la tentative d’abordage du sous-marin dans le port de Brest s’inscrit, en fait, dans un ensemble d’actions organisées par la Junte de Burgos, par des franquistes infiltrés en France, aidés de membres de l’extrême-droite française et de la terrible « Cagoule ».
L’histoire de l’attaque du sous-marin républicain à Brest ainsi que le contexte politique local sont expliqués par Patrick Gourlay (professeur d’histoire à Morlaix et auteur de « Nuit franquiste sur Brest. L’attaque du sous-marin C-2, 1937 », éditions Coop Breizh, 2013). Cet événement a servi de trame à la BD « Nuit noire sur Brest. Septembre 1937, la Guerre d’Espagne s’invite à Brest » de « Kris », Bertrand Galic et Damien Cuvillier qui connaît un grand succès depuis le 15 septembre 2016.
Les auteurs ont choisi l’histoire du C-2 car c’était une histoire parfaite pour une adaptation, définie comme la mise en page d’une mémoire historique à travers des personnages-clés comme l’espion anarchiste X-10 et la belle Mingua, excellents supports d’identification pour le lecteur
Au cours des échanges avec le public, les deux scénaristes, Kris et Bertrand Galic, dressent le tableau actuel de la bande dessinée et du roman graphique historiques : 103 ouvrages ont pour toile de fond la Guerre d’Espagne , comme « L’art de voler », de Antonio Altarriba , « La Nueve » de Paco Roca , « La Balada del Norte » de Alfonso Zapico pour ne citer que les plus connus.
Maëlle Parras (doctorante à l’Université Autonome de Barcelone et à l’Université Lumière de Lyon) qui clôture cette première journée d’échanges, souligne l’intermédialité entre les deux ouvrages « Nuit franquiste » et « Nuit noire » : la double démarche, à la fois historique et artistique permet de laisser une empreinte, une trace pour la mémoire individuelle et collective.
- Fin de journée quand art, mémoire et histoire conjuguent leurs trois visages: l’exposition
Cette première journée s’achève par la présentation de l’exposition. Fátima Rodríguez (professeure de Lettres à l’UBO, chercheure HCTI de Brest) inaugure cette présentation par une conférence intitulée : « Peintres espagnols de la Diaspora. Les trois exils de Maruja Mallo ». Elle nous parle des femmes (dont on ignore encore aujourd’hui le nombre) qui ont traversé les Pyrénées en janvier et février de l’année 1939. Un petit nombre d’intellectuelles en faisait partie mais bon nombre d’entre elles empruntent le chemin de l’exil dès 1936, pédagogues, philosophes, peintres, journalistes, dramaturges, actrices… Elle aborde la figure et l’œuvre encore peu étudiée de Maruja Mallo (Lugo, 1902- Madrid, 1995), « personnage irrévérencieux et peintre de génie qui connut une véritable projection internationale et dont l’importance dans l’art contemporain a été saluée par plusieurs générations d’artistes, d’André Breton à Max Ernst, d’Andy Warhol à Pedro Almodovar.
Belle introduction pour passer à un moment les plus forts du colloque,le vernissage de l’exposition à trois visages (Espace « Les Abords » de l’UBO), en présence d’un public nombreux, curieux et émerveillé de ce qu’il découvre :
« Les réfugiés espagnols dans le Finistère, de la Guerre d’Espagne à nos jours »: à travers les panneaux de notre exposition, la présentation de documents d’archives, de divers documents prêtés par les membres de l’association, MERE 29 s’emploie à montrer cet exil républicain espagnol au plus grand nombre
« Éloge de la ligne en hommage à Maruja Mallo » une présentation composite à partir des gravures de María Renati, artiste graveuse argentine installée depuis plusieurs années dans notre cité et des merveilleux pliages et costumes de Maryline Vilar.
« A galopar » avec les dessins de Julien Weber-Acquaviva, artiste complet et protéiforme, qui nous a fait l’amitié de prêter son talent pour la réalisation de l’affiche de ce colloque
Mardi 4 avril 2017
C’est d’abord Josu Chueca Intxusta (maître de conférences à l’Université du Pays Basque à Bilbao, spécialiste de l’exil et aussi du « Camp basque » de Gurs) qui intervient avec : « Les socialistes espagnols en Bretagne. Essai prosopographique d’un exil permanent ». Il étudie les biographies des militants des organisations socialistes des espagnols ayant combattu sur le Front du Nord (Pays Basque, Cantabrie, Asturies, Galice) et qui sont arrivés à Quimper, Concarneau, Brest, Rennes, et Nantes, jusque-là anonymes. D’abord, éphémère et provisoire, leur exil est devenu permanent en Bretagne, souvent engagé, notamment dans la Résistance. Il évoque aussi des parcours de femmes militantes.
- « Le travail forcé des réfugiés espagnols sous le régime de Vichy » est ensuite traité par Peter Gaida (docteur en histoire contemporaine à Brême, spécialiste du travail forcé durant la 2nde Guerre Mondiale et des camps de travail sous Vichy). L’organisation nazie Todt va « utiliser » 35 000 républicains espagnols, « livrés » en zone occupée, dans les chantiers de Bordeaux et La Rochelle et en Bretagne, dans les chantiers des fortifications du « Mur de l’Atlantique » et des trois bases sous-marines de Saint-Nazaire, Lorient et Brest.
La fin de matinée : Littérature et mémoire dans l’Espagne du XXIe siècle: Alfons Cervera…
Nathalie Narváez et Alfons Cervera
- Une Conférence hispanique organisée par le Département d’Espagnol (HCTI) clôt la matinée, présentée et traduite par Nathalie Narváez : « Littérature et mémoire dans l’Espagne du XXIème siècle », de l’écrivain et journaliste Alfons Cervera.
Depuis les années 90, les romans d’Alfons Cervera sont dédiés à la récupération de la Mémoire historique et démocratique, qui tente de donner aux vaincus espagnols de la guerre civile, une voix qui leur est encore déniée. Son roman emblématique est « Maquis »(1997), traduit en français et qui a été 2 ans au programme de l’Agrégation pour les étudiants français en langue et littérature espagnoles. Alfons Cervera est un écrivain très charismatique qui va laisser une forte impression à chacun pendant le colloque, apportant une réflexion forte sur la littérature de la Mémoire et sur la question de la démocratie en Espagne.
En effet, il s’attaque à la culture politique de la réconciliation et du consensus de la Transition Démocratique, qui s’est inscrite dans une tradition héritée du franquisme d’instrumentalisation politique du passé, niant le passé traumatique des vaincus contraints au silence et à l’oubli. Il s’attaque aussi à une certaine forme de littérature de la Mémoire, celle de Antonio Muñoz Molina et de Javier Cercas. Alfons Cervera revendique une récupération de la Mémoire des vaincus de la guerre civile qui passe par la reconquête de la Vérité : la Guerre d’Espagne éclate parce que le Coup d’État Nationaliste du 18 juillet 1936 échoue, vient ensuite une guerre d’extermination avec des vainqueurs et des vaincus ; les vaincus vont être ensuite pendant 40 ans culpabilisés et anéantis par la dictature franquiste qui leur a tout volé jusqu’à leur mémoire.
L’après-midi, la mémoire de l’exil espagnol dans le Finistère:
- Alfons Cervera insiste, dans ce travail de récupération de la mémoire, sur le rôle parallèle des Associations Mémorielles en Espagne et, en ce début d’après-midi du mardi 4 avril , Hugues Vigouroux, notre président, dans son intervention intitulée « MERE 29, la nécessité du témoignage » va l’illustrer : l’association MERE 29 est issue de la rencontre de plusieurs personnes liées par la volonté de « connaître », « faire connaître » et « reconnaître » la mémoire des exilés républicains espagnols dans le Finistère ». Elle s’emploie à ce que leur mémoire oubliée soit reconnue comme constitutive de notre mémoire collective, par le biais d’actions multiples (apposition de plaques commémoratives, interventions dans les écoles et lycées, expositions, participations à des événements).
- L’exil dans le Finistère, la voie maritime
Comment sont arrivés les républicains espagnols dans le Finistère ? Jean Sala-Pala (fils de républicain, Mere 29) nous parle de la voie maritime dans « Les arrivées de bateaux dans le Finistère durant la Guerre d’Espagne », où il évoque l’histoire agitée de ces hommes et de ces bateaux, entre 1937 et 1939 (environ une trentaine de bateaux et 500 hommes).
Où ont-ils été accueillis dans le Finistère ? Il y en eu plusieurs et un de ces lieux d’accueil est évoqué par Marcel Burel (professeur agrégé de Lettres Classiques) dans « Les républicains espagnols détenus dans la caserne Sourdis à Roscanvel 1937-1939 » qui a été mise à disposition du préfet pour l’accueil des réfugiés par le maire de Landerneau, Jean-Louis Rolland. C’est avec beaucoup de sollicitude qu’y seront d’abord accueillis des Basques, à côté des colons de la commune, l’été 1937 puis à nouveau 200 réfugiés en février 1939. De nombreux Comités de bienveillance ont œuvré tant à Roscanvel qu’à Landerneau et Brest pour adoucir les conditions de détention. C’est un épisode d’histoire encore vivant à Roscanvel où à plusieurs reprises, d’anciens réfugiés y sont revenus en pèlerinage à la caserne Sourdis.
Quel a été leur vécu et celui de leurs enfants ? Ludovic Le Lez, comédien, a recueilli une cinquantaine de témoignages d’exilés nous fait une lecture théâtrale touchante du témoignage de « Antoine, Toni », fils de républicain espagnol à Brest et membre de MERE 29.
- “Como Si Fuera Ayer”, un spectacle plein d’émotion
Cette fin d’après-midi se termine par une lecture théâtrale et sonore avec le spectacle « Como Si Fuera Ayer », ou « poème sonore pour Manuel Rodríguez Ramos », par la Compagnie À Petit Pas : Leonor Canales le dédie « en hommage à tous les hommes, femmes et enfants qui sont arrivés en France et dans notre bout du monde de l’année à partir de 1937 ». Un spectacle fort avec les témoignages audios d’Isabelle Castillo, de Jean Sala-Pala et Hugues Vigouroux, qui donnent encore plus d’intensité émotionnelle au spectacle
Fin de journée : une présentation d’ouvrages à la “Petite Librairie”
À 18 h 30, le public est invité à se rendre à La Petite Librairie, au 4 bis rue Danton, pour un moment qui restera aussi l’un des moments les plus forts du colloque. Alfons Cervera nous présente « La nuit immobile » (La Fosse Aux Ours, 2016), avec à ses côtés, Nathalie Narváez pour la traduction.
« La nuit immobile » est le dernier volet d’une trilogie consacré par Alfons à la Mémoire des vaincus de la guerre civile. Si la trilogie est la chronique d’un village de la province de Valence, Los Yesares, chacun des romans le fait du point de vue d’une génération, « La couleur du crépuscule » montre le point de vue des enfants, « Maquis » celui des parents et « La nuit immobile » se centre sur la génération des grands-parents. Le vieux Felix et María ont perdu un fils, mort de pneumonie à son retour de la guerre du Maroc ; depuis, María est devenue sourde et Felix vit une longue nuit immobile, restant assis sur le seuil de la porte, à converser avec sa petite fille Sunta (l’héroïne de « La couleur du crépuscule ») et avec les amis qui lui rendent visite ou dont il entend les voix.
Dans une librairie pleine de monde, Alfons Cervera s’adresse à un public attentif et captivé : il est malicieux et raconte sereinement des anecdotes personnelles qui nous font rire (comme l’anecdote des poules) et qui nous émeuvent (comme le théâtre de son père).
Il nous transporte dans son univers littéraire en évoquant sa trilogie et aussi d’autres ouvrages récents comme « Ces vies-là ». Et puis « Les chemins du retour », où il évoque, avec une photo à chaque chapitre, son retour aux lieux et aux gens qui apparaissent dans ses romans : le village « Los Yesares », le bar « La Agrícola », la grotte, le cimetière civil où sont enterrés les enfants nouveaux-nés, les suicidés et les « rouges », le cinéma musical et les maisons où il a vécu à Gestalgar, celle de ses grands-parents, celle de ses parents où son père était assigné à résidence pendant 12 ans ; les protagonistes de ses romans sont les gens de son village et ses amis. Ses romans, dédiés à la mémoire sont, dit-il, au croisement de la réalité et de la fiction, du passé et du présent, de la vérité et des souvenirs.
Et chacun part avec un ou plusieurs des romans d’Alfons Cervera, dédicacés, pour pouvoir prolonger ces moments forts.
Mercredi 5 avril 2017.
Ce matin, le projecteur est mis sur les grandes oubliées de la récupération de la Mémoire, les femmes espagnoles dans la République, pendant la Guerre d’Espagne et l’exil.
- Antonio Plaza Plaza (docteur en histoire contemporaine de l’Universidad Autónoma de Madrid) est aussi spécialiste de l’œuvre de Luisa Carnés (1905-1964), journaliste et auteure madrilène. Il nous parle du texte de Luisa Carnés: « De Barcelona a la Bretaña francesa ». Episodios de heroísmo y martirio de la evacuación española (Memorias), ses mémoires donc , qui sont le récit de sa fuite de la Catalogne et Barcelone bombardées, de la traversée de la frontière puis de son expérience de réfugiée dans le camp d’internement du Pouliguen, où elle demeure plusieurs mois avec d’autres femmes, enfants et personnes âgées, dont un certain nombre a pu être identifié, et ce jusqu’à sa libération, puis son autorisation de départ au Mexique, le 16 mars 1939 grâce aux actions de Margarita Nelken et du soutien du diplomate mexicain qui avait déjà recueilli son fils en 1937. Elle y vécut en exilée politique, exerçant le journalisme et poursuivant son travail d’écrivaine jusqu’à son décès en 1964.
- Carole Viñals (maître de conférences à l’Université de Lille III, spécialiste de l’exil républicain espagnol, de Max Aub et de la Revue « Mujeres españolas ») nous en livre un portrait vibrant : « Luisa Carnés. La trajectoire d’un écrivain engagé, du féminisme à la lutte anti-franquiste ». Née à Madrid en 1905, Luisa Carnés va avoir une trajectoire journalistique et littéraire qui se divise en 2 étapes. Féministe et l’un des rares soutiens de Clara Campoamor, Luisa Carnés s’est très tôt intéressée à la condition féminine et à la vie des femmes ouvrières. Dans « Natacha » (1930), elle raconte la vie d’une ouvrière du textile et montre les terribles conditions de travail du prolétariat féminin espagnol de cette époque. Dans « Tea Rooms- Mujeres obreras » (2016), roman social féministe, elle raconte la vie des employées d’un salon de thé madrilène à l’époque de la seconde République, où la protagoniste, Matilde, lutte pour sa survie comme toutes les femmes confrontées à la misère, l’exploitation, les dangers de l’avortement et à toutes les formes du machisme social. Ensuite, en exil au Mexique, elle va diriger la revue « Mujeres españolas » qui poursuit la lutte contre le franquisme. Son roman « Juan Caballero », publié en 1956, retrace la vie des guerilleros anti-franquistes en Espagne
- En l’absence de Raquel Thiercelin-Mejías (maître de conférences à l’Université Aix-Marseille et spécialiste de littérature hispano-américaine), son amie Annick Tréguer (professeure agrégée, chercheuse à l’Université Paris-Sorbonne et à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, auteure de « Chicanos. Les murs peints des États-Unis » 2000) complète l’éclairage sur la trajectoire de Luisa Carnés par le texte intitulé: « Luisa Carnés. De Barcelona a la Bretaña francesa : un témoignage et un livre de Mémoires ». C’est un texte qui amène des éléments dramatiques. En effet, Raquel Thiercelin-Mejías est « una niña de la guerra », une enfant de la guerre d’Espagne : elle est née à Madrid , en 1931 , est évacuée d’un refuge pour enfants à côté de Barcelone bombardée où ses parents l’avait éloignée pour la protéger, accompagnée de Sacorro, une autre fillette un peu plus âgée, mais à l’avancée des troupes « nationalistes », le refuge se disloque et les deux fillettes livrées à elles-mêmes, entament un périple qui les conduira jusqu’à Contest, un petit village de l’Ouest de la France proche de la ville de Mayenne ; elles sont accueillies par Marie-Louise Crosnier qui va retrouver la mère de Raquel grâce à la rubrique « enfants perdus » de la revue « L’œuvre ». Pura Verdú Renau, la mère de Raquel, est internée à l’Aérium marin de Brécéan au Pouliguen et Eusebio Mejías López, son père, dans le Camp d’Argelès ; la famille sera réunie le 2 septembre 1939.
Dernièrement, la lecture du livre « De Barcelona a la Bretaña francesa » a attiré l’attention de Raquel car y est relaté avec nombre de détails l’odyssée de son exil en France au milieu d’un groupe de femmes parmi lesquelles se trouve selon toute probabilité la propre mère de Raquel, Pura Verdú, évoquée sous le nom de Puga qui passe la frontière le 2 février 1939. En lisant ce texte, Raquel dont la maman est décédée en 1999, a été confrontée à une autre version d’une seule même et dramatique réalité de son histoire. Elle salue ici le rôle de la Bretagne et des femmes de l’Ouest dans l’accueil des réfugiés espagnols.
Nous pouvons voir sur cette photo Annick Tréguer lisant la lettre de Raquel, âgée de 7 ans écrite à ses parents, lettre qui n’a été ni finie ni envoyée à ses destinataires, comme toutes ces lettres d’enfants perdues ; elle est publiée page 153 dans le superbe livre traduit en français « Paroles orphelines. Les enfants et la guerre d’Espagne » de Verónica Sierra Blas (2016).
- Suite du projecteur sur les itinéraires de femmes engagées dans la République et exilées, avec Natalia Kharitonova (maître de conférences à Moscou et membre du groupe de recherches GEXEL).
Voici le tableau du peintre Fedor Modorov, intitulé « Portrait de l’enseignante Abilia Peraita Gómez (1903-1979) », fait en 1937 lors de sa venue en Union Soviétique en tant que membre de la délégation du Ministère de l’Éducation d’Espagne, invitée à la Fête du travail du 1er mai. Après un bref séjour en Russie, où elle va poursuivre ses activités à Madrid, à l’Association de femmes anti-fascistes.
Natalia a reconstruit la biographie de cette « Maestra de la República » de Madrid à Saint-Malo en passant par les Camps d’Argelès et de Saint-Cyprien, la vie dramatique d’une femme qui restera des années sans savoir ce que sont devenus son mari et ses deux fils pendant la chute de Madrid et qui est restée fidèle à ses idées puisqu’elle deviendra en Bretagne agent de liaison du groupe de résistants « guerilleros » .
Ces militantes et militants républicains espagnols exilés ont la plupart du temps continué leur engagement anti-fasciste en France et Joël Delhom, ( maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud), nous relate ainsi l’itinéraire d’un militant anarchiste espagnol, en particulier sa difficile expérience de détention au Camp n°2 d’Aurigny : « Brest, Aurigny, Rennes (1941-1945) ; Itinéraire d’un travailleur forcé Manuel Servent ».
Cette dernière matinée du Colloque s’achève avec Marie-Claude Chaput (professeure à l’Université Paris-Nanterre, ex-directrice de 2 laboratoires de recherches sur l’exil, GREX et GRISOR) qui par son intervention « La mémoire de la guerre d’Espagne : du silence aux débats sur la Mémoire historique », va nous donner un éclairage précis sur l’histoire de la récupération de la Mémoire en Espagne, jalonné de dates clés. De la Loi d’Amnistie de 1977 à la Loi de la Récupération de la Mémoire de 2007, l’Espagne vit maintenant une situation bloquée autant par le « Partido Popular » que par le consensus sociétal et médiatique : le juge Garzón ayant été dessaisi, c’est la juge argentine María Servini de Cubría qui représente les familles des disparus.
Deux documentaires au programme de cet après-midi du mercredi 5 avril :
Un film documentaire, « Mémoires en exil : une expérience étudiante de la récupération historique », réalisé par Ginés Cervantes López (stagiaire de Master en Littérature et Langages à l’Université Bretagne-Sud). Avec les étudiants de l’Association lorientaise « Los Bufones », il est parti à la recherche de témoignages de l’exil espagnol de 1937-1939, de Bretagne jusqu’en Russie, afin « d’entendre et de comprendre leurs histoires de vie avant qu’elles ne s’éteignent » : Eva, Julia, Conchita, ex-enfants de la guerre, se souviennent. Des témoignages bouleversants qui nous éclairent sur les épreuves et les déchirements subis, sur la spécificité de cette mémoire en exil : « il y a eu trop de choses en même temps pour se souvenir ». La scène en Russie, à Moscou, où les ex-enfants de la guerre se retrouvent depuis des décennies pour jouer aux cartes ensemble montre à quel point le groupe de pairs a du être un facteur de résilience pour ces enfants arrachés à leurs familles et à leur pays.
lien vers le documentaire: https://vimeo.com/214674248/8937b4cf4a
La dernière partie du colloque met le projecteur sur l’accueil des réfugiés, aujourd’hui, en Europe, en France et en Bretagne.
Marjorie Gerbier-Aublanc, (socio-anthropologue et chercheuse post-doctorante à l’EHESS, associée au laboratoire LABERS de Brest), nous présente ses travaux : « Des camps aux Centres d’accueil et d’orientation (CAO), pratiques d’accueil et vécu des demandeurs de refuge depuis 2015 en France ». Fermeture des frontières, impréparation des solidarités, repli identitaire, logique-repoussoir, auto-installation dans l’urgence, contrôle de la population, désillusion des réfugiés…son exposé a une étrange résonance avec l’accueil des réfugiés espagnols, il y a 80 ans. Terre d’exil plutôt que terre d’accueil…
La table-ronde « Quand l’art et la migration s’entremêlent dans l’Ouest » va apporter une bonne note d’optimisme à la fin du colloque. Elle est consacrée à la thématique de l’exil et de la migration sous un angle artistique et humanitaire. Des hommes et des femmes ont créé des projets qui ont en commun la rencontre avec l’Autre : «L’encyclopédie des migrants » expérience présentée par Thomas Vétier, Yuna Gonzales et Armelle Kermorgant de l’ABAAFE et « Je n’aime pas le froid » présentée par Lionel Jaffrès (Le Théâtre du Grain).
A 17h30, c’est la clôture du colloque sur le parvis de la Faculté Victor Segalen, inondée de soleil, avec la chorégraphie de la Compagnie Impro Infini de Sébastien Chambres : « Chorégraphie pédagogique qui démontre la nécessité de maîtriser les flux » par la startup « Walls ». Sous le regard bienveillant des spectateurs…
Cliquez ici pour accéder aux résumés des communications.
Le colloque en images
Marie Le Bihan