Winnipeg, el barco de Neruda, écrit par Laura Martel et illustré par Antonia Santolaya Ruiz-Clavijo
La guerre d’Espagne et l’exil à travers les yeux d’une fillette de 7 ans : en 1939, Julia fuit Barcelone bombardée et prend le chemin de la France aux côtés de son père Victor. C’est la Retirada. Julia traverse les Pyrénées sous la neige puis connaît l’internement dans le camp d’Argelès. La petite fille se raccroche à sa boîte de crayons de couleurs pour oublier les privations, la faim, le froid, la dysenterie, les internés qui se suicident ou meurent de faim. Lorsque son père apprend que le poète Pablo Neruda affrète un bateau pour le Chili et qu’il réalise avec son épouse Delia del Carril des entretiens avec les espagnols pour les y emmener, ils prennent la direction de Paris.
« Winnipeg, el barco de Neruda », raconte cette odyssée unique à travers le regard d’une fillette qui, malgré la guerre et ses terribles épreuves, a su préserver ses facultés d’émerveillement et sa joie de vivre. Pour Julia, Neruda est une figure bienveillante comme le sont les bénévoles de la Croix-Rouge ou les Quakers (membres d’une secte religieuse répandue surtout aux USA) qui ont payé la moitié du passage de chaque réfugié et comme vont le devenir ensuite les Chiliens après l’arrivée du bateau dans son nouveau pays. Réflexion intéressante sur le thème de la résilience.Ce roman graphique retrace donc l’histoire du Winnipeg, ancien cargo français (ex-Jacques Cartier, ex-Paimpol) aménagé pour transporter environ 2200 réfugiés espagnols dont un tiers étaient des enfants. Le Winnipeg lève l’ancre le 4 août 1939 du port de Trompeloup, à côté de Bordeaux, et arrive à Valparaíso le 3 septembre 1939. L’hostilité initiale d’une partie de la population chilienne fera rapidement place à un grand élan de solidarité et d’intégration.Consul du Chili en Espagne à partir de 1935, Pablo Neruda avait été bouleversé par l’assassinat de son ami, également poète, Federico García Lorca, en août 1936, et avait pris fait et cause pour le camp républicain. Pour l’opération Winnipeg, il avait au préalable obtenu l’accord de Pedro Aguirre Cerda, alors Président de la République du Chili, intéressé par l’idée de faire venir des immigrants qui en effet œuvreront ensuite pendant des années au développement de leur terre d’accueil. Ce Président chilien l’avait nommé, en 1939, Consul spécial de l’Immigration en France.
On retiendra aussi de cet ouvrage l’émouvante préface du célèbre écrivain chilien Luis Sepúlveda qui évoque le parcours de Roser Bru, « chilienne, catalane et espagnole », âgée à l’époque des faits de 16 ans, ainsi que la postface de l’auteure Laura Martel qui découvre, incrédule, le chemin terrible de l’exil et le sort des réfugiés espagnols en France et à l’étranger. C’est grâce aux souvenirs d’un passager du Winnipeg, Víctor Pey Casado, ingénieur espagnol employé dans la fabrication d’armes et de munitions en Catalogne et ancien de la Colonne Durruti, qui deviendra plus tard conseiller de Salvador Allende, qu’elle a pu réaliser cette histoire symbolisée par une petite fille anonyme. Fortement impressionnée par la joie de vivre et le sentiment de gratitude des 15 000 descendants des réfugiés du Winnipeg, elle a voulu leur rendre hommage.L’Espagne n’a jamais, de manière officielle, remercié le Chili pour cet acte d’accueil. Mais pour Pablo Neruda cette aventure fut sa plus belle œuvre :
« Que la crítica borre toda mi poesía, si le parece. Pero este poema, que hoy recuerdo, no podra borrarlo nadie.» [Que la critique efface toute ma poésie si bon lui semble. Mais ce poème, dont je me rappelle aujourd’hui, personne ne pourra l’effacer.]
« Winnipeg, el barco de Neruda » écrit en espagnol par Laura Martel et illustré par Antonia Santolaya Ruiz-Clavijo (Ediciones Hotel Papel, 2014, pas encore traduit en français).
Quelques liens sur l’ouvrage :
Interview des auteurs: https://www.youtube.com/watch?v=m6EnCG6JBtE
Article dans la presse: http://www.rtve.es/noticias/20150302/winnipeg-barco-neruda-salvo-dos-mil-supervivientes-guerrra-civil/1105261.shtml
Quelques liens sur l’histoire du Winnipeg :
Si une longue chape d’oubli a longtemps recouvert l’histoire du Winnipeg et de son voyage avec ses 2200 réfugiés, divers ouvrages, articles et films évoquent maintenant cette aventure humaine :
- Ramón Chao, L’Odyssée du «Winnipeg », Buchet Chastel, 2010, 254 p. : https://www.buchetchastel.fr/catalogue/lodyssee-du-winnipeg/
- Jean Ortiz et Marielle Nicolas, “De Madrid à Valparaíso – Neruda et le « Winnipeg », Atlantica-Séguier, 2011, 112 p. : http://www.atlantica.fr/livre/11300/De_Madrid_a_Valparaiso_Neruda_et_le_Winnipeg
- Olivier Guiton, « Winnipeg, la traversée de l’espoir » : https://www.dailymotion.com/video/x3vlp8e
Marie Le Bihan