« Je ne pourrai jamais oublier la grandeur, la perfection de l’âme de ce peuple breton et c’est pour cela que j’ai décidé de mourir ici » (Paco Rabanne, Le Télégramme de Brest, 7 mars 2014)
Le vendredi 3 février disparaissait à Portsall Francisco Rabaneda Cuervo. C’est ainsi qu’il préférait qu’on le nomme (« Paco » ou Monsieur Rabaneda), c’est ainsi qu’il vint à nous à plusieurs reprises. C’est avec une émotion et une tristesse toutes particulières que nous avons appris sa disparition, la disparition de Paco Rabanne avec qui, dès nos tout premiers pas, nous avions entretenu des relations privilégiées.
Ainsi, le 30 mai 2012, le jour même où pour la première fois, la presse locale (Le Télégramme de Brest) mentionnait la création officielle de notre association, Paco Rabanne nous appelait pour nous proposer son témoignage. Le 5 novembre de la même année, il recevait dans sa maison de Portsall une délégation de MERE 29 constituée de Gabrielle García (présidente de MERE 29), Jean Sala-Pala (secrétaire de MERE 29), Marc Salmon (trésorier de MERE 29).
À cette occasion, Jean Sala Pala, notre vice-président actuel avait recueilli le témoignage de Paco Rabanne dans sa maison de Portsall. Voici quelques extraits :
« Je suis né en février 1934 près de San Sebastián. Ma mère a été une des fondatrices du Parti communiste basque, elle était très proche de Dolores Ibárruri, la Pasionaria. Elles allaient poser ensemble des bombes… Mon père, républicain convaincu, était militaire de carrière et commandait alors l’unité basque Rusia. Il avait été l’ami intime de Franco à l’École militaire mais il a été fusillé par les franquistes fin 1937… »
Après nous être enfuis d’Espagne, nous sommes restés dans les camps où Tanguy-Prigent, que mes parents avaient connu durant la guerre, est venu nous chercher pour nous héberger à Ploujean, près de Morlaix. Je me rappelle d’un truc minable, petit, mais là on était bien. Pendant l’Occupation, ma mère, en tant qu’Espagnole n’ayant pas le droit aux tickets de ravitaillement, nous ne pouvions rien acheter, mais alors rien, pas un morceau de pain, pas un litre de lait, pas de beurre, et tous les paysans du coin venaient lui apporter une jupe à retourner, un vieux manteau à découper, simplement pour nous payer en beurre, en œufs, en lait. Parfois, ils arrivaient et nous disaient : « Cachez-vous, cachez-vous à tel endroit, on sait qu’il va y avoir des rafles… »
La mort de Franco était un incontournable à mon retour en Espagne, je ne pouvais pas, il n’en était même pas question. Il m’a invité trois fois et trois fois j’ai refusé… Par contre, dès qu’il est mort, j’y suis retourné…
L’Espagne a été une haine effrayante et c’est en arrivant en Bretagne que j’ai connu la générosité, des gens d’une simplicité ! Les Bretons… Leur gentillesse, leur générosité, l’amour qu’ils avaient pour les autres, un amour désintéressé, c’était comme ça ! Arrivé à la retraite, je suis revenu ici parce que je veux finir mes jours avec des gens que je respecte énormément et pour dire aux Bretons : ” Vous êtes exceptionnels, vous êtes grands, très grands ! ” Qu’ils le sachent, parce que notre époque est bizarre, barbare, effrayante, et je ne voudrais pas qu’ils perdent ce qu’ils ont… Une générosité d’une profondeur inouïe ! »
Il revint nous voir à plusieurs reprises. Le mardi 3 mars 2014, alors que nous inaugurions notre exposition à la mairie de Saint-Pierre-Quilbignon, ce fut une énorme surprise pour toutes les personnes présentes ce jour-là, un moment d’émotion. Paco « Rabanne » prit gentiment la parole soulignant ainsi sa sympathie pour MERE 29. Il exprima son indéfectible lien avec la Bretagne « …Je ne pourrai jamais oublier la grandeur, la perfection de l’âme de ce peuple breton et c’est pour cela que j’ai décidé de venir mourir ici… » (Le Télégramme de Brest, vendredi 7 mars 2014).
Il nous fit l’honneur de sa présence une autre fois, le 27 mai 2015. Ce jour-là, au Fort Montbarey, dans le cadre de la Journée nationale de la Résistance, il assista au dévoilement de la plaque en mémoire des travailleurs forcés espagnols de la base des sous-marins. Paco, le fils de républicain espagnol (son père Francisco Rabaneda Postigo, officier, chef de la 1ère brigade de la division du XIVe Corps de l’armée du Nord dans le camp républicain fut fusillé le 15 octobre 1937 à Santoña) se trouvait parmi tant d’autres fils et filles de républicains espagnols et français.
Paco Rabanne, Fort Montbarey, le 27 mai 2015 (archives privées)
Paco Rabanne, « Francisco Rabaneda Cuervo » arriva en Bretagne le 2 février 1939, avec sa mère Maria et les autres enfants de la famille, Olga, Pacifico et Auleo.